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Suppression de la taxe d’habitation : « non à l’augmentation des droits de mutation ! »

Les départements réclament une hausse de 0,2 point des droits de mutation, pour compenser la perte de recettes engendrées par la suppression de la taxe d’habitation. Notre chroniqueur Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du Management des Services immobiliers, dénonce une mesure qui viendrait réduire la cadeau fiscal initialement promis aux contribuables et qui précipiterait un peu plus la France dans l’archaïsme fiscal.
C’était déjà le feuilleton de l’été dernier, et la première saison avait même débuté aux vacances 2017. Je veux parler du financement de la suppression de la taxe d’habitation. Tout a commencé par une promesse de campagne du candidat Macron, qui a sans aucun doute compté dans les faveurs que le public lui a accordées. Son équipe avait alors estimé le coût de la mesure à 8 milliards d’euros de manque à gagner pour les collectivités locales concernées, les communes au premier chef. On sait aujourd’hui que le coût global, intégrant les 20% des ménages percevant les revenus les plus élevés, pour qui l’exonération est différée à 2023, va dépasser les 23 milliards d’euros. Entre-temps, la taxe versée par les 20% de ménages à plus forts revenus sera nationalisée et directement versée à l’État.

Depuis plus de deux ans maintenant, l’exécutif débat avec les maires de France sur la méthode de compensation. Il a bien été tenté d’expliquer aux élus locaux que des économies de fonctionnement, notamment de train de vie, leur permettrait aisément de trouver les ressources nécessaires, mais l’argument n’a pas fait flores. Peut-être simplement parce qu’on parle ici de 34% des ressources des communes et qu’on voit mal comment les seules charges de fonctionnement pourraient être tellement grasses qu’on puisse les réduire dans ces proportions. Il est normal en revanche qu’un gouvernement qui a voulu réduire les indemnités des maires de petites et moyennes villes considèrent qu’ils vivent sur un grand pied… Le problème est qu’il n’en est rien. L’essentiel des dépenses de ce qu’il est convenu d’appeler le "bloc communal", c’est-à-dire la consolidation des budgets de toutes les communes, part en investissements au profit des habitants. C’est si vrai que le premier réflexe des maires qui se sont vu priver de leur principale ressource fiscale a consisté à lever le stylo sur la signature des permis de construire : voilà qui explique la baisse de l’ordre de 10% des octrois d’autorisation de construirez en rythme annuel, qui hypothèque lourdement les trois années à venir. En clair, rien à voir avec le syndrome connu du maire qui se représente et qui se met à l’abri des critiques de ses administrés un an avant l’élection, histoire de calmer les passions de ceux qui veulent garder leur ville intacte. Disons plutôt que cette fois, les deux effets se sont tristement additionnés.

On sait désormais quel scénario de compensation a été privilégié par Édouard Philippe et sa ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales, après que toutes les hypothèses ont été émises, en particulier par les experts mandatés par le gouvernement. Les départements transfèreront le bénéfice de la taxe foncière, dont ils sont aujourd’hui destinataires, aux communes. En échange, ils se verront affecter de la TVA à même hauteur, en tout cas en première année. Ce mécanisme se mettra en place dès 2021.

C’est dans ce mécanisme que le bât blesse… L’association des gestionnaires des collectivités locales a dressé le constat que la taxe foncière évoluait bien plus favorablement que la TVA sur moyenne période. D’où la proposition alternative que les conseils départementaux soient habilités par la loi à augmenter les droits de mutation à titre onéreux, improprement dénommés "frais de notaire" – parce que les notaires en sont les percepteurs au moment d’acter une acquisition immobilière. Le calcul de la représentation des cadres territoriaux en charge des finances auprès des élus départementaux les conduit à demander 0,2 point de plus, partant de près de 8,5% à ce jour.

On rappellera que les droits de mutation dans notre pays sont les plus élevés de l’OCDE. Les professionnels immobiliers ont longtemps ferraillé pour les faire baisser, et semblent avoir jeté l’éponge, sans doute aussi parce qu’il est plus difficile d’arguer qu’ils sont un frein à la fluidité du marché lorsque le nombre des ventes bat tous les records. Le problème, c’est que la solvabilisation par les taux bas, qui agit comme un puissant booster, finit par cacher deux maux, la cherté des logements dans les grandes métropoles et une fiscalité de l’acquisition et de la détention confiscatoire.

En clair, ce n’est pas parce qu’un calmant atténue la douleur que la maladie n’existe pas. Or le logement est malade de ces deux maux. Guérir le premier est difficile, se garder de l’aggravation du second relève de la responsabilité politique et économique la plus élémentaire. On a compris qu’il arrivait au Président Macron et à ceux qui l’entourent d’oublier les vraies gens, celles pour qui 5 euros d’APL (aide personnalisée au logement) sont beaucoup, les mêmes qui ont le sentiment qu’on réduit la vitesse autorisée sur les routes pour punir plus aisément et appliquer des amendes hors de portée de la plupart des ménages. On espérait que les élus de terrain, les mêmes qui peuvent désormais relever à 90km/h la vitesse maximum abaissée sans discernement, ne mépriseraient pas les acheteurs de logement. Pourtant, l’Assemblée des départements vient de publier une simulation correspondant à l’achat d’un bien de 150.000 euros, pour lequel une hausse de 0,2 point ne représenterait que 300 euros, estimés digestes par les élus départementaux.

Non, 300 euros ne sont pas négligeables pour les familles. Est-on prêt à incliner les patrons à augmenter de 300 euros leurs salariés au motif que ce n’est pas grand chose ? Sans compter que dans les grandes villes l’opération moyenne va plutôt s’élever à 300.000 euros, avec pour conséquence le double de 300 euros en guise de majoration de la facture actuelle. Des sommes que les accédants paieront, mais qu’ils n’utiliseront pas pour faire tourner la machine économique en achetant des meubles ou de l’électro-ménager ou en consommant des services. Bref, la pénalisation est bien réelle.

Quant à dire que cette facture augmentative est inférieure à une année de taxe d’habitation et qu’elle n’est payée qu’une fois, cela ressortit à une grande mauvaise foi politique : de quoi se plaindraient des contribuables à qui on annonce qu’un cadeau fiscal promis sera finalement moindre ? Ce geste réclamé par les conseils départementaux, si l’État y consentait, serait une mauvaise manière de plus envers l’immobilier. Il engoncerait surtout un peu plus le pays dans l’archaïsme fiscal pour les actifs immobiliers, qu’on sait marqué du sceau indigne de la "rente", aux yeux du Président de la République.

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